Santé mentale et addictions, par Alain Morel

[SANTÉ MENTALE ET ADDICTIONS]

Pourquoi et comment dépasser le modèle biomédical occidental ?

Alain Morel[1]

 

« Si l’on y prend garde, l’Afrique risque de ne plus se voir que par les yeux des autres et de jeter sur elle-même un regard pétrifiant » (Aimé Césaire, discours de Dakar, 1966).  

 

La consommation de substances psychoactives non prescrites (stupéfiants, alcool, médicaments, tabac) par des personnes ayant des troubles psychiques est un phénomène croissant, à Mayotte comme en Métropole, qui pose des difficultés conceptuelles et pratiques aux équipes de soin. Il interroge les représentations de la maladie mentale et celles de l’addiction, et révèle l’inadaptation du modèle biomédical occidental qui le réduit à une « comorbidité » de deux « maladies du cerveau ».

L’approche globale, bio-psycho-sociale apporte un regard différent où la maladie mentale est une souffrance et la consommation de substances addictives une tentative de gestion de cette souffrance à la recherche d’un mieux-être.

Avec leur niveau de diversité et d’accessibilité d’aujourd’hui, les drogues s’inscrivent dans toutes nos activités humaines. Elles peuvent servir à se divertir, se soulager, se socialiser, et, plus globalement, à s’apaiser, s’adapter et s’émanciper. Mais leur usage expose aussi à des risques : toxicité, perte de contrôle, dépendance… Elles deviennent alors des cofacteurs de détérioration de la santé globale parmi d’autres déterminants : le stress, la précarité, les psycho-traumatismes, le déclassement, l’isolement, la violence, la stigmatisation, l’ennui, la dépression, l’hyperactivité, la dérégulation de l’accès aux produits…

Ainsi, la source des addictions et d’une grande part de la santé mentale se trouve dans le social, dans notre mode de vie. C’est donc là que se trouvent les réponses : dans les rapports sociaux, la réduction des inégalités, l’éducation et la promotion de la santé, etc.

Le renforcement du pouvoir d’agir de la personne (pour son autonomie) et la qualité des relations sociales (pour se relier et coopérer) sont les clés du rétablissement des personnes et des transformations sociales nécessaires dans leur environnement.

Toutes les modalités d’intervention ne se valent pas pour poursuivre ces objectifs. Selon nous, deux réunissent les valeurs qui favorisent des pratiques coopératives et inclusives : la réduction des risques et la démarche communautaire. La démarche communautaire en santé amorcée par la POPAM sur le territoire de Tsigouni en a ouvert une piste très significative à Mayotte.

Plus que tout autre, le contexte mahorais nous invite à la créativité. Il est spécifique tant dans ses dimensions communautaires et culturelles qu’au regard des consommations de substances psychoactives qui s’y développent et de la précarité des populations et des services de santé. Inventer des réponses adaptées commence par des alliances. Entre les équipes psychiatriques et d’addictologie mais aussi avec les usagers et les personnes vivant sur l’île. Il s’agit de reconnaître et d’impliquer toutes les parties de la communauté sociale, de donner la parole, partager et associer tous les savoirs dans un langage commun.

Bien évidemment, une telle dynamique repose sur des expérimentations concrètes, des « petites » réalisations, de la convivialité et de la confiance… et sur l’appui des autorités de santé.

[1] Psychiatre addictologue, co-responsable du laboratoire de recherche d’Oppelia, le Lab’Opp. amorel@oppelia.fr