Mayotte en Santé, discours introductif de Jean-Pierre Couteron

Introduction aux conférences « Addictions » du colloque Mayotte en Santé

 

Cette seconde édition du colloque Mayotte en santé, avec sa composante addiction, succède à celui qu’avait organisé l’association Fikira  qui, en 2018, abordait en précurseur, la même thématique. Les trois organisateurs de l’édition 2023, Moncef MOUHOUDOIRE pour Nariké M’Sada-M, Mr Jean Mathieu DEFOUR pour le centre hospitalier, et mon ami Eric PLEIGNET, pour la Popam Oppelia, nous invitent à développer les liens entre acteurs concernés par les thématiques que vous allez parcourir, santé sexuelle, maladies infectieuse émergeantes et addictions.

Fin 2021 l’implantation et l’habilitation par l’ARS Mayotte de la POPAM répondait à une exigence dont la contradiction n’est qu’apparent : combler le manque d’une structure spécialisée en addiction, mais avec l’attente que sa spécialisation ne conduise pas à une fermeture sur soi, sur ses savoirs et pratiques, mais ouvre à un travail de partenariat. La réserve due à la période électorale fait que les représentants de l’ARS ne s’exprimeront pas, ce qui est dommage, car ils sont un acteur socle de ce partenariat qu’il faut sans relâche animer et auquel ce colloque doit contribuer. Je salue ceux qui sont dans la salle ou nous écoutent à distance, nous savons leur engagement.

Le sous-titre de ces journées, territoires défavorisés, mis au pluriel, nous rappelle l’urgence de cette action solidaire pour faire face à des difficultés bien spécifiques. Rien ne sera facile, rien ne sera simple, d’où cette exigence de solidarité, de pragmatisme et de cohérence dans l’action. Mayotte est un jeune département, un territoire insultaire qui a une longue histoire de carrefour dans l’océan indien. Il en a les potentiels et les difficultés. Il se construit en se transformant, et la coopération entre acteurs s’impose pour accompagner l’évolution de la société mahoraise dans le respect de cette histoire, de ce qui la caractérise.  Encore plus au moment où comme bien d’autres territoires français, elle est percutée par les effets de la société de consommation, par les tensions économiques et par les enjeux climatiques de ce 21 siècle débutant. Dans ce contexte, notre expérience en addictologie laisse entrevoir que les problèmes liés aux troubles addictifs vont prendre de l’ampleur, nous invitant à placer nos efforts autant sur l’accompagnement et le rétablissement des usagers touchés que sur une mobilisation en faveur de la prévention et de la RDR. D’où l’idée d’une plate-forme, la POMPAM, évidemment plus complexe à animer, mais qui représente une vraie innovation pour avancer sur un travail commun.

 

Je ne détaillerai pas dans cette ouverture les données dont nous disposons pour connaitre les usages et leurs spécificités mahoraise. J’ai pu, à d’autres occasion, notamment lors de « la crise de la chimique », évoquer avec vous et les collègues de l’OFDT ce que les chiffres de leurs enquêtes commençaient à pouvoir documenter. La matinée de mercredi, avec la présentation de l’étude Chasse-marée et celle du travail sur l’analyse de produit permettra de continuer cette élucidation de la spécificité des usages. Ici comme ailleurs, les usages sont liés aux communautés concernées, aux coutumes et aux modes de vie, aux rencontres qui se font, aux pratiques religieuses et culturelles, au statut insulaire du territoire. Mais ici comme ailleurs, ils varient aussi aux âges de la vie, selon l’histoire de chacun, ses traumas et autres bouleversements. Car ici comme ailleurs, l’addiction est diverse, et c’est avec chacun qu’il faut et faudra continuer d’agir.

 

D’où cette proposition d’un diagnostic territorial de la démarche en santé communautaire. Partir d’un tel état des lieux, c’est prendre en compte la dimension naturellement expérientielle de l’usage, trop souvent oubliée ou occultée par les conséquences potentiellement dramatiques de ces usages : car c’est au nom d’un effet attendu, à tort ou à raison, que l’on va vers un produit ou objet d’addiction. C’est cette capacité à faire « solution » qui confère à ses substances et objets leur attractivité particulière. Ils sont « à la fois, à la fois ». A la fois une solution, ou du moins pendant quelques temps, l’apparence d’une solution, et un problème, au bout de quelques temps, quand la répétition de l’usage a creusé l’ornière de la dépendance.

 

Partir de cette dimension de santé communautaire, accepter cette caractéristique des objets et comportements d’addiction permet d’en comprendre la particularité, parmi tous les objets inventés par l’humain et son progrès scientifique. Il permet de comprendre pourquoi ni l’information sur les risques, ni les sanctions éducatives ou pénales, seront nécessaires mais insuffisante.

 

Mais comprendre cette dimension a aussi le mérite d’ouvrir le champ des possibles pour répondre aux problèmes que pose, tant pour l’usager que pour son entourage, leurs usages s’ils ont lieu, et pour co-construire des parcours de rétablissement efficients.   Ce qui repose l’intérêt des processus de coopération entre acteurs concernés et des actions de réduction des risques, comme en débattra la table ronde de cette première journée : s’ouvrir à la diversité des réponses, et se poser la question de leur co-construction, avec l’usager, sans en rester à l’entre soi des « spécialistes », sans s’enfermer sur un seul axe, qu’il soit celui de la médecine, celui des thérapies ou celui de l’action sociale ou éducative.

Le projet porté par la Popam, dans sa dimension de plate-forme, porte cette ambition de « faire avec », de viser au meilleur agencement possible des différentes compétences,  dans les différents secteurs.  Du côté des professionnels, nous devons résister à penser notre action comme « centrale », réduisant le partenariat à une collaboration fonctionnelle. La santé sexuelle, la mobilisation pour répondre aux maladies infectieuses émergentes nous ont montré l’importance de dépasser des postures qui ne sont qu’une illusion de partenariat. L’histoire du sida évidemment, et nous aurons l’honneur d’entendre Françoise Barré-Sinoussi que j’avais rencontré lors des débats des années 2010 sur les salles de consommations à moindre risque, avec Pierre Chappart, mais aussi, plus récemment, celle du covid, et celles dont vous suivrez l’actualité paludisme, peste, nous ont appris qu’il faut aller plus loin : Rien en peut se faire en santé sans une dynamique du faire avec et un partenariat de coopération. Le slogan Rien pour nous, sans nous, reste actuel.

 

La journée de mardi vous proposera trois pistes pour l’appréhender dans le domaine de l’addictologie : d’abord celle des parcours de soin en addictologie et en santé mentale, qui n’existeraient pas sans une coopération non hiérarchisée entre hôpital, Popam et tous les professionnels de premier recours, l’ensemble des associations et les différentes composantes de la population ; puis celle de l’éducation préventive et de l’intervention précoce, où mon statut de vice-président de la SFSP, engagée dans un travail sur la capitalisation des expériences en santé afin de soutenir la mise en œuvre privilégiée de programmes probants, c’est à dire qui ont fait scientifiquement leur preuve, me permet de rappeler que la prévention, et notamment dans sa dimension éducative, ça marche. Simplement, et puisqu’il faut encore le rappeler, ça marche si on lui laisse le temps long de l’éducation et la formation de l’humain, qui n’est pas toujours celui des enjeux politiques comme le savent les personnels éducatifs, et les parents, qui s’y impliquent.  Quant aux liens entre santé et justice, j’aurais l’occasion d’y revenir demain, participant à la session qui lui est consacrée.

 

Je vais donc ici conclure, sur un regret et une satisfaction.

Regret que mon agenda d’addictologue ne m’ait pas permis de venir parmi vous. Mais si tout va bien, je serai là en mars pour participer à la formation de l’ENM sur la justice résolutive de problème.
Satisfaction que les 5 thématiques ici abordées (Diagnostic en santé communautaire, éducation préventive et intervention précoce, Addictions et santé mentale, Justice et addictions et addicto-vigilance) soient les 5 missions confiées par l’ARS à la Popam. Elles sont essentielles à ces territoires.

Merci de cette initiative, bravo pour la mobilisation dont les nombreuses inscriptions témoignent.

 

Jean-Pierre Couteron, Président d’Oppelia