Pour une RDR renouvelée

Article issue du « blog de l’équipe de PsychoACTIF »

« C’est bientôt les 20 ans de l’institutionnalisation de la RDR. Nous nous apercevons à Psychoactif que nous n’avons pas les mêmes valeurs ni les mêmes pratiques que la RDR institutionnelle et nous nous questionnons sur la définition de réduction des risques.

Nous vous partageons quelques constats et concepts que nous avons travaillé pour une RDR renouvelée, psychosociale, citoyenne et éthique, qui permet à la Personne Utilisatrice de Drogues (PUD) de restaurer son pouvoir d’agir, de sortir de l’aliénation dû à la stigmatisation sur les drogues et de s’émanciper dans des trajectoires de consommation hors des prophéties auto destructrices.(comme les fameuses prophéties « accroc à la première fois », rechute inévitable si on reconsomme après un arrêt…)

Nous faisons le constat d’une RdR institutionnelle qui porte en elle ses propres limites : elle se limite aux risques sanitaires et souvent aux outils pour les réduire. Nous voulons une réduction des risques positive qui s’intéresse autant aux risques qu’aux bénéfices liés à l’usage de drogues. Repérer et cultiver les bénéfices de l’usage, c’est donc sortir de l’aliénation du discours dominant sur l’abstinence, qui fait des drogues un fléau, une chose nuisible. Repérer et cultiver les bénéfices de l’usage permet au PUD de faire des choix éclairés, de repenser son parcours et d’ouvrir les trajectoires d’usage.

Nous voulons une RDR qui n’aie pas peur de banaliser l’usage de drogues ; Non au sens laxisme morale du terme, mais qui lui rend son caractère ordinaire, qui enlève le caractère mystique/sacré de la consommation de drogues. La sacralisation des drogues réduit le PUD à son usage. Il n’est plus qu’un héroïnomane, un cracker et non plus une personne. Il faut redonner à l’usage de drogue sa juste place et rien que sa place : l’usage de drogue est un élément parmi d’autres de l’individu.

Nous faisons aussi le constat d’une RDR institutionnelle où le savoir expérientiel de l’usage de drogues a disparu. Nous voulons une RDR qui apprenne à expérimenter les drogues, à les consommer et à les contrôler. C’est sûr que si le seul horizon des drogues c’est l’abstinence, le savoir expérientiel sur la consommation paraît anachronique. Mais c’est l’abstinence comme paradigme dominant qui est anachronique. Comme toute activité, la consommation de drogue s’apprend, se maîtrise petit à petit. Mais pour cela il faut une RDR qui reconnaisse et cultive le savoir expérientiel de l’usage (pairjectivité). Ce savoir, méprisé de certains professionnels parce qu’il ne serait pas médical, est pourtant essentiel non seulement dans l’apprentissage des effets des drogues, mais aussi dans celui du contrôle de sa consommation  (par exemple géré les méthodes d’approvisionnement)! Ce savoir expérientiel, combiné à l’éducation par les pairs est un puissant outil de changements de trajectoires de consommation, et de sortie des prophéties autoréalisatrices.

Nous voulons une RDR non normative et non prescriptive. Faire de la réduction des risques, ce n’est pas lister les risques sanitaires, en espérant que la PUD adopte les « meilleures » manières de consommer. Il faut partir de là où en est la personne, et coconstruire un continuum de possibles et de trajectoires avec ces désirs et ces besoins.
Comme acteur et actrice de la RDR, nous devons non seulement accepter la consommation de l’autre mais aussi ses risques. La norme et la prescription conduisent à la stigmatisation des usages considérés comme les plus à risques, hors ce sont ces PUD qui ont le plus besoin de RDR.
Par exemple la fameuse échelle « le mieux ce n’est pas de consommer, puis si on consomme de ne pas injecter » est avant tout une échelle morale, un avatar de la stigmatisation du consommateur.trice de drogues, mais surtout de la personne injectrice.

Nous voulons une réduction des risques qui combatte et déconstruise la stigmatisation de l’usage de drogues et ces préjugés.
Dans cette lutte contre la stigmatisation, la lutte contre la Violence symbolique (ou auto-stigmatisation) a une place à part. La Violence symbolique, c’est les PUD qui ont intégré le discours dominant sur les drogues, avec tous les préjugés qui vont avec. C’est pour cela que les PUD vont se considérer comme des bons à rien parce qu’ils consomment. Cette auto-stigmatisation alimente la honte et la culpabilité, elle est responsable d’une baisse de l’estime de soi, qui diminue le pouvoir d’agir, provoque des dégâts psychosociaux immenses (dépression, stress, surconsommation, craving…) et empêche de reconnaître et de s’approprier les bénéfices de la consommation.

Cette déconstruction de l’autostigmatisation devrait être un objectif des structures addicto dans un but d’émancipation des PUD : c’est cela la RDR psychosociale. Malheureusement, Psychoactif fait le constat que sans travail spécifique sur la stigmatisation, le système addicto et ses professionnel.le.s reproduisent le discours dominant, stigmatisant, dans lequel l’usage de drogue est un fléau. La grande majorité du système de soin en addictologie est donc basé sur l’abstinence avec des professionnel.le.s aux croyances stéréotypées qui ne peuvent pas voir les compétences acquises par les PUD et les bénéfices liés à leur usage.

L’autostigmatisation des PUD combiné aux préjugés des professionnels (entretenus par le système des biais de confirmation) est explosif et conduit à des non-recours au soin, à de la discrimination et de la maltraitance. A Psychoactif, nous sommes les témoins privilégiés de cette violence institutionnelle permanente et massive, les PUD venant témoigner sur notre plateforme.

Devant ces constats, nous essayons à Psychoactif de construire une RdR qui intègre pleinement l’usage en prenant appui et en cherchant à développer les savoirs expérientiels, permettant à chaque PUD de penser un mieux pour soi et d’augmenter son pouvoir d’agir. Pour nous, la RDR est un projet politique de changement des rapports des individus et de la société vis-à-vis des drogues,  de contestation du discours dominant d’abstinence et de la répression. Et nous appelons toutes les personnes qui veulent faire bouger la RDR, qui veulent lutter contre la stigmatisation et les discriminations des PUD à travailler avec nous. »

Pierre Chappard et Fabienne Pourchon, fondateur et fondatrice de Psychoactif