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A Nantes, Oppelia 44 se mobilise pour éliminer l'hépatite C

Article rédigé par Josselin Aubrée

Alors que l’Organisation Mondiale pour la Santé a fixé pour objectif l’élimination de l’infection par le virus de l’hépatite C pour 2030 et que l’on enregistre une forte baisse de sa prévalence en France, une population spécifique reste sujette à développer cette maladie, il s’agit des personnes usagères de drogues par voie intraveineuse.
A Nantes, notre équipe d’Oppelia 44 a mis sur pied un programme pour aller à la rencontre de ces publics, prévenir, tester et traiter la maladie. Nous avons voulu en savoir plus avec Gurvan Le Bourhis, Chargé de projets Accompagnement des pratiques de consommations à moindre risque pour cette structure.

L’hépatite C c’est quoi exactement ?

Commençons par rappeler la distinction entre le virus et la maladie. L’hépatite C est une maladie infectieuse du foie provoquée par un virus appelé « VHC ». Or, ce virus est transmissible par voie sanguine. L’usage de drogues par voie intraveineuse, et plus particulièrement le partage de matériel contaminé, est à l’heure actuelle le principal mode de transmission du virus en France selon l’Assurance Maladie et le ECDC (European Center for Disease Prevention and Control).
Le virus peut naturellement être éliminé chez 25 à 30% des personnes contaminées, les 70% restantes développent quant à elles une hépatite C dite chronique : dépistée, elle sera l’objet d’un traitement aboutissant à la guérison dans 95% des cas ; non dépistée, elle causera de sérieux dommages au foie.
Pour faire simple, disons que le virus VHC va faire travailler le foie de façon excessive jusqu’à ce que se développe une fibrose. Les cellules du foie vont alors mourir et ne plus remplir leurs missions. Les formes les plus graves d’hépatite C peuvent entraîner des œdèmes au niveau des membres inférieurs du foie, toucher de plus amples parties de l’organe voire le foie en entier, c’est alors ce qu’on appelle une cirrhose, maladie nécessitant une prise en charge bien plus lourde que celle de l’hépatite. La cirrhose peut à son tour dégénérer, créer de plus graves dommages et causer un cancer du foie. En traitant rapidement les personnes atteintes de l’hépatite C, il en résultera beaucoup moins de prises en charge hospitalière, moins de greffes du foie…

 

Une forte prévalence à Nantes

Les différentes études de prévalence du virus indiquent que l’hépatite C est en net recul au sein de la population française (estimation de 232 000 personnes atteintes par une hépatite C chronique en 2004, contre 133 000 en 2016). Par ailleurs, « seulement » 0,84% de l’ensemble de la population a été en contact avec l’hépatite C. Pourtant, les personnes usagères de drogues par voie intraveineuse restent des populations particulièrement vulnérables face à cette maladie, notamment du fait de pratiques d’injections à risques, de conditions de vie précaires et d’un moindre accès aux services de soins.
De plus, il existe de fortes disparités d’une métropole à l’autre, souvent du fait de pratiques d’injections plus marquées dans certains territoires. En 2011, l’enquête ANRS-Coquelicot menée par l’Inserm auprès des usagers de drogues fréquentant les structures de réduction des risques sur 7 territoires (Paris, Marseille, Lille, Strasbourg, Bordeaux, Val de Marne, Seine et Marne), a permis d’estimer que 44% des publics liés à l’étude avaient été testés positifs à la présence d’anticorps anti-VHC :« La prévalence était plus élevée à Marseille (56 %) et en Seine-Saint-Denis (52 %) qu’à Bordeaux (24 %) ou à Lille (28 %). »*
Les personnes usagères de la ville de Nantes n’ont pas participé à l’étude de 2011, mais Gurvan Le Bourhis, Chargé de projets Accompagnement des pratiques de consommations à moindre risque pour Oppelia 44 à Nantes indique que : « Au vu des questionnaires, échanges informels et dépistages qu’on proposait dans nos structures CAARUD-CSAPA, il apparaissait que les personnes avaient une prévalence bien plus importante à Nantes que dans d’autres villes. On se disait bien qu’on avait affaire à une prévalence de l’hépatite C particulièrement forte à Nantes où les personnes consomment par voie injectable plus que dans d’autres villes. » Les équipes d’Oppelia 44 ont alors pris les choses en main pour faire reculer drastiquement la prévalence du virus VHC.

TROD VHC

« Test and Treat » : le programme anti hépatite C

C’est ainsi que les équipes d’Oppelia 44 à Nantes ont développé un programme inspiré d’expérimentations déjà à l’œuvre dans d’autres villes en France. Il s’agit de « Test and Treat »
qui permet en une seule journée de dépister et de traiter. Le choix de
réaliser ces deux aspects pratiques en une seule journée est lié au fait que les publics accompagnés par les équipes médico-sociales et sanitaires restent très volatiles. Il vaut mieux tout faire en une fois plutôt que d’échelonner au risque de perdre les personnes.

 

Le dépistage
Gurvan Le Bourhis nous explique comment fonctionne ce programme en commençant par le dépistage : « On propose un dépistage aux personnes fréquentant nos CAARUD et CSAPA, dans les murs mais aussi en aller-vers via les maraudes, les squats, les centres d’hébergement… Le dépistage est très simple et très rapide, il n’est pas nécessaire d’être médecin pour le pratiquer d’ailleurs. 99% des dépistages TROD (Tests rapides d’orientation diagnostiques) sont réalisés par des infirmiers, éducateurs, psychologues… mais pas par des médecins. Il suffit de prélever une goutte de sang au bout du doigt et en quelques minutes une bandelette vient nous confirmer le résultat. S’il est positif, c’est-à-dire s’il révèle la présence d’anticorps anti-VHC, on met en route un deuxième niveau d’analyses grâce à une machine Gen XPert®, la Rolls-Royce du TROD. Elle indique alors en 1 heure (toujours via une goutte de sang) si le virus a déjà été combattu et éliminé par le corps ou pas. Si le virus n’a pas été éliminé naturellement, on débute le traitement » Ainsi, sur les 272 personnes rencontrées par Oppelia 44 pour un dépistage depuis deux ans, aucune n’était porteuse du VIH ou de l’hépatite B. Par contre, 92 avaient été en contact avec le VHC. Au final, 54 tests par Genexpert ont révélé la présence du virus VHC. Toutes étaient des personnes précaires, fréquentant parfois un CSAPA ou un CAARUD et toutes avaient développé des pratiques d’injection de drogues parfois associées à des consommations d’alcool, de cocaïne et de crack (à noter que l’hépatite C peut aussi se transmettre par le snif et par inhalation).

Le traitement

Depuis quelques années, le traitement contre l’hépatite C n’est plus l’apanage des hépatologues, les médecins généralistes pouvant réaliser le traitement de A à Z jusqu’à guérison. Au total, 42 personnes ont été prise en charge médicalement, seulement 6 ont été traitées par des spécialistes et 36 par des médecins généralistes. Au sein d’Oppelia 44, les médecins du CSAPA et du CAARUD sont ainsi habilités à délivrer le traitement contre l’hépatite C et reçoivent des personnes usagères dans ce cadre. Le traitement, qui permet une guérison dans 95% des cas, est peu intrusif pour la personne usagère mais doit être suivi scrupuleusement pour éradiquer la maladie. Il s’agit d’un médicament (constitué d’un combiné de molécules de la famille des antiviraux) à ingérer quotidiennement durant 2 à 3 mois… Le caractère rigoureux des traitements incite le personnel médico-social et sanitaire à suivre de près les personnes usagères pour s’assurer de la bonne prise des médicaments. D’autant que ces derniers sont particulièrement onéreux et que s’ils ne sont pas bien suivis, autant tout recommencer… Ainsi, une machine Gen XPert coûte à elle seule 30.000€, le traitement contre l’hépatite C coûte quant à lui 25.000€ par personne. Mais cela reste moins cher que de traiter une cirrhose à l’hôpital ou un cancer du foie.

 

* NDLR : La nouvelle enquête Coquelicot pour l’année 2022 devrait prochainement établir une baisse de la prévalence du virus pour ces publics.

Un programme qui nécessiterait plus de moyens humains et financiers
Si les équipes du CAARUD et du CSAPA d’Oppelia 44 sont à l’œuvre pour ce programme Test and Treat, seuls les infirmiers sont habilités à manier la machine Genexpert au cœur du programme. Or, L’ARS finance les TROD, première étape dans le programme, mais il n’y a aucun financement ni pour la poste d’infirmier, ni pour l’achat de la machine Genexpert. Gurvan Le Bourhis nous indique à ce sujet qu’Oppelia 44 fait appel à l’association Nantes Objectif Zéro. Celle-ci a pour objectif de tendre vers une éradication de l’hépatite C à Nantes. Pour cela, elle se met en lien avec des laboratoires pharmaceutiques afin d’obtenir des dons et ainsi louer le Genexpert. Malheureusement, le financement arrive bientôt à terme il est fort possible qu’il ne soit pas reconduit l’année prochaine. Si on nous finançait un poste d’infirmer dédié à la prévention, au dépistage et au traitement de l’hépatite C, il faut bien se rendre compte que ce serait bien plus efficace en termes de santé publique et que cela coûterait bien moins chers que des traitements lourds contre l’hépatite C et les maladies lourdes que celle-ci peut engendrer. D’autant que parfois, on en vient à traiter des personnes qui se recontaminent… Si elles se recontaminent, c’est bien parce que quelqu’un leur a retransmis le virus et que celui-ci circule toujours. »

Et toujours pas de Haltes Soins Addictions
Toujours dans une optique du « mieux vaut prévenir que guérir », l’équation est simple : mieux vaut valoriser les projets déjà existants et mutualiser des machines entre CSAPA et CAARUD sur des territoires fortement touchées par la prévalence d’hépatite C. D’autant que de nombreuses villes attendent avec impatience l’ouverture d’une Halte Soins Addictions (nouvelle appellation des salles de consommation à moindre risque). Rappelons à ce sujet que l’évaluation COSINUS (2021) de l’Inserm a permis de prouver l’efficacité de ces dispositifs de réduction des risques afin de diminuer la prévalence de l’hépatite C auprès des personnes usagères de drogues. Dernièrement, un rapport des inspections des affaires sociales (IGAS) et de l’administration (IGA) vient de plaider non seulement pour leur maintien mais aussi pour l’ouverture de nouvelles HSA.

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