Chronique n°13 « Vivement le temps des cerises ! » : Le verre à moitié (co)vide

VIVEMENT LE TEMPS DES CERISES !
Chronique du combat pour la solidarité et la coopération
au milieu de la crise sanitaire et sociale, printemps 2020

 

Chronique numéro 13 : Le verre à moitié (co)vide

Publié le 12/05/2020 // Rédigé par Lilian BABÉ

 

Depuis le 14 mars, la crise sanitaire a amené la société à repenser son regard sur les usages d’alcool. Apéros devenus « visio-apéro », quelques arrêtés préfectoraux ou territoriaux limitant ou interdisant la vente d’alcool (rappelant le temps de la prohibition plus que celui des cerises), un accueil de la consommation dans des structures d’hébergement qui l’interdisait jusque là, une multiplication de messages de sensibilisation, une médiatisation très contrastée de ces différentes situations… quelle évaluation peut-on faire de ces évolutions ?

Les représentations de l’alcool, fondées sur les modèles classiques de la santé publique et de la maladie alcoolique, ont été bousculées par l’épidémie de COVID. Le modèle santé publique, héritier de l’hygiène sociale, définit des normes d’usage et distingue les usages sains et malsains, séparant du même coup celui qui « sait boire » de celui « qui ne sait pas ». Il appelle à une limitation des ventes et de la publicité et produit des logiques d’inclusion et d’exclusion au regard du respect des normes. Avec le confinement, il s’est trouvé confronté à ses limites, entre nécessité de laisser un accès aux produits, et incapacité persistante à réguler le marketing, notamment sur les écrans omniprésents en ces temps d’enfermement.

Le modèle biomédical de la maladie catégorise les usages au long d’un continuum menant aux mésusages, à la dépendance et au craving (la pulsion à consommer). Il répond par un sevrage et un traitement, plus ou moins médical et/ou psychothérapeutique. Confronté au confinement, lui aussi a dû s’adapter : mise à distance de la consultation médicale et des rendez-vous de psychothérapies ; sevrages impossibles à organiser faute de lits disponibles dans des hôpitaux débordés, accompagnement groupal rendu compliqué par la distance physique.

Le contexte anxiogène a mis à mal cette vision binaire. Il a rappelé que les boissons alcoolisées sont diverses, qu’il n’y a pas un usage mais des usages, qu’il n’y a pas un usager mais des usagers, que les savoirs « experts » ne se limitent pas à ceux des professionnels voire des patients, ils sont aussi ceux des usagers. Les logiques du « boire » répondent à une recherche de bénéfices, trop souvent oubliées par les réponses soignantes focalisées sur le risque santé et/ou le risque addiction. Les personnes n’ont pas des « problèmes d’alcool », elles trouvent d’abord des réponses dans les effets de l’alcool. Ce sont les dommages éventuellement causés par cette consommation qui leur posent problème ainsi qu’à leur l’entourage.

C’est donc bien sur les risques, tous les risques, et sur ces fonctions, toutes ces fonctions, qu’il faut agir et non pas sur la seule consommation. Sans oublier que, pour être utiles, au sens de ce « care » qui n’en finit pas d’essayer de se faire entendre, cette action ne peut trouver d’utilité sans l’usager, son expertise et son pouvoir sur lui-même.

Dans la sémantique chinoise, le mot crise se traduit par deux caractères : danger et opportunité. Oui consommer de l’alcool peut présenter des dangers, mais voyons dans cette crise sanitaire une opportunité sans précédent d’y répondre différemment, en gardant ouverte dans la durée cette troisième voix(e), celle du milieu, comme une opportunité de faire évoluer nos pratiques professionnelles et d’y intégrer la Réduction des Risques liés à l’Alcool.


Lilian BABÉ
, directeur Oppelia Passerelle 39

 

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